Parce que leur style nous inspire et parce qu’ils sont uniques… Nous, les Petits Frenchies, avons décidé de dresser le portrait de femmes et d’hommes qui oeuvrent chacun dans leur domaine pour porter haut et fort la créativité et le savoir-faire à la française.
Aujourd’hui, nous rencontrons Ivan Lulli, le dernier ébéniste du centre de Paris. Pour le trouver, c’est dans le grand quartier des Halles qu’il faut aller.
Témoin de l’évolution du quartier depuis un demi-siècle, Ivan en connaît par cœur la géographie, la petite et la grande Histoire. Aujourd’hui, ce sont les filles siliconées de la rue Saint-Denis et les hipsters à moustache de la rue Tiquetonne qui se côtoient autour du passage du Bourg l’Abbé, au cœur duquel est blotti l’atelier d’Ivan. Surplombé par un vieux baromètre qui ne fonctionne plus et une verrière un peu branlante, l’atelier ne laisse pas indifférent le promeneur qui s’arrête comme aimanté par la poésie du lieu.
Derrière la vitre : des dizaines d’essences de bois soigneusement rangées, des outils aux formes excentriques et des volutes de sciure qui dansent dans les rayons du soleil. Et au milieu de ce décor de film s’agite Ivan, un mec solide aux pognes qui envoient du bois. Un mec qui transpire la vérité, qui pense, qui dessine, qui découpe, qui scie, qui martèle. . . Il est un vrai créateur comme nous les aimons chez les Petits Frenchies. Et cherry on the cake, il travaille à trois mètres de notre showroom, c’est donc en voisins que nous lui rendons visite.
Rencontre à 3 autour de l’établi
Démarche assurée, regard appuyé et un t-shirt vert qui colle aux plus près de deux avant-bras façonnés par la boxe. Notre homme a du style, et à n’en pas douter, du caractère.
Ivan, tu es un vrai titi parisien ?
Je suis un gars du quartier. Ce quartier des Halles, j’y suis né. J’ai connu les primeurs et les maraîchers dans les années 60 à l’époque où les murs de Paris étaient encore noirs, souvenirs de la fumée des locomotives du début du siècle. Dans les années 70, j’ai vu fleurir les sex-shops le long de la rue Saint Denis. C’était l’eldorado de l’époque. Aujourd’hui, le retour des métiers de bouche (aucun lien avec les « cocottes de la rue St Denis » comme il surnomme affectueusement ses voisines qui exercent le plus vieux métier du monde) des bistrots et des petits restos autour du passage est une très bonne chose.
Pourquoi et comment es-tu devenu ébéniste ?
Ma vocation est née quand j’avais 7 ans, quand je suis resté scotché devant une vitrine de meubles marquetés. J’étais avec mon père et je lui ai demandé qui était capable de faire de si belles choses. Sans jamais m’éloigner de ce rêve, j’ai foncé pour intégrer l’école Boulle à 14 ans (le HEC des Arts appliqués). La suite, elle est sous vos yeux, l’ébénisterie et l’atelier.
Cet atelier est un endroit incroyable. Comment as-tu atterri ici ?
C’est ma mère qui avait trouvé cet endroit en 1965 pour que mon père Adelfio y installe son bureau de décorateur. J’y ai mis les pieds la première fois à un mois seulement ! J’ y ai donc grandi jusqu’à prendre possession des lieux à 18 ans pour y installer mon établi d’ébéniste.
Le nom de mon père est inscrit à la feuille d’or sur la devanture de l’atelier : A. Lulli comme Adelfio Lulli. Je ne veux pas que ce nom soit sali, mon successeur devra avoir une bonne mentalité, une bonne philosophie.
Que représente-t-il pour toi ?
Cet atelier c’est mon repère, mon antre. J’y suis viscéralement attaché. En plus d’y vivre mon quotidien, j’y ai vécu toutes les étapes importantes de ma vie. De grands bonheurs, de grandes peines. . . Ce lieu a une âme, la mienne et celle de ma famille. En plus de mon travail du bois, j’aime m’isoler dans mon petit bureau, travailler mes esquisses, faire mes devis en écoutant Piaf sur mon gramophone.
Durant notre rencontre, Ivan flirte avec tous les sentiments, toutes les humeurs. Tantôt cash et drôle quand il parle du présent, il laisse l’émotion le gagner quand il évoque le passé. Son amour des choses anciennes transparaît partout dans son atelier, tout ou presque est d’origine. Une pin-up très sage des 50’s dissimulée dans son entrée, un splendide gramophone sur son bureau, de vieux téléphones à cadran accrochés aux murs, un tour à bois d’époque Napoléon III. . . Tout y est et tout fonctionne encore ! Quant on évoque le futur de son atelier, c’est alors le sérieux qui prédomine. Soucieux de préserver ce lieu unique quant il aura laissé la main, il souhaite faire classer l’atelier et imagine volontiers un luthier prendre la relève si son fils ne reprend pas le flambeau de l’ébénisterie.
As-tu conscience de la fascination qu’exercent ton atelier et le personnage qui y travaille pour les gens qui traversent le passage ?
Bien sûr ! Tous les jours, des gens s’arrêtent. Les plus polis me saluent et ce sont les seuls à avoir le droit de me poser des questions et prendre des photos ! Etre accessible et ouvert est pour moi l’unique moyen de montrer une image positive du métier d’ébéniste et d’artisan plus généralement. Quand un enfant s’arrête, j’aime répondre à ses questions et lui faire découvrir l’atelier.
On vit dans un monde de bandits et de voleurs, où tout est artificiel. C’est donc bien de montrer aux jeunes qu’on peut faire des choses nobles sans diplômes ni titres mais juste avec du travail et de la sincérité.
Quelle est ta manière de concevoir tes ouvrages ? Quel est ton processus de création ?
Il m’arrive de faire naître des ouvrages sortis tout droit de mes inspirations, mais la plupart du temps je réponds aux commandes de particuliers, d’architectes et je conçois avec eux l’objet qu’ils souhaitent.
A moi ensuite de choisir les essences de bois qui conviennent selon leur couleur, leur texture, leur solidité avant de commencer à travailler l’ouvrage à partir de mes dessins et mes plans. Il m’arrive de passer un mois sur un ouvrage : c’est un métier qui demande créativité, minutie et patience.
Quand on parle de tes ouvrages, on hésite à dire tes « œuvres » ? Tu te sens plus artisan ou un artiste?
Je suis un artisan de quartier. Ce titre me va très bien. Ce n’est pas à moi de dire si je suis un artiste. Même si je suis toujours honoré que mon travail soit loué, je ne veux surtout pas céder aux sirènes de la flatterie. Il n’ y a pas de place pour la littérature dans ma manière de considérer mon métier et mon quotidien. Etre un artisan de quartier qui aime son métier, voilà ce que je suis.
Je suis un homme libre…je me suis créé un monde qui me correspond.
En 30 ans de métier, quelques savoureuses anecdotes ?
J’ai travaillé pour pas mal de personnalités du monde du cinéma, de la musique… Beaucoup habitent le quartier. Un réalisateur qui était tombé amoureux de l’atelier m’a même fait jouer mon propre rôle dans son long-métrage. Une expérience sympa.
Comment vis-tu le voisinage des Petits Frenchies ?
Je commence à bien connaître l’équipe! Au delà des liens sympas que l’on a su tisser ensemble, j’apprécie les jeunes qui créent. C’est courageux, dans notre société d’aujourd’hui, de se lancer dans la création d’entreprise et d’être fidèle à ses convictions. Ils ont l’air d’être passionnés par ce qu’ils font et je respecte ça.
S’ouvrir sur le monde, oui, mais on ne peut pas accepter que le made in Chine devienne la norme dans tous les domaines !
Le fait que nous mettions en avant le frenchie, le créateur français, ça te parle ?
Evidemment. Il est très important de valoriser notre savoir-faire. Le savoir-faire de l’artisan est important, mais pas seulement. Les jeunes créateurs français, quelque soit leur domaine, qui se battent pour réussir doivent être soutenus et c’est donc une bonne chose que les Petits Frenchies aient pour mission de mettre en valeur d’autres frenchies !