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Par Léa Movia - Le 18 novembre 2016

On a interviewé Judith Aquien, l’une des fondatrices de Thot, une école de français pour les réfugiés et demandeurs d’asile à Paris, qui a la particularité d’être diplômante et vraiment sérieuse. Au terme de la première session de cours, 92,5% des élèves qui se sont présentés au diplôme l’ont obtenu ! Zoom sur cette initiative française, portée à bout de bras par trois jeunes femmes, qui font les choses bien.

 

« On se considère comme une start-up associative »

Bonjour Judith, comment vous est venue l’idée de Thot ?

Sur le terrain ! En allant en tant que bénévole sur le campement de migrants de Jean-Quarré à Paris pendant trois mois, à travailler dans l’urgence pour la nourriture, la coordination de dons, les accompagnements à l’hôpital, les démarches etc. Ce qui m’a frappée, c’est que tout le monde me demandait où apprendre le français. Pour eux, c’était une urgence vitale, parfois même avant le gîte et le couvert. Les offres de cours existantes étaient rares, trop chères pour eux et n’aboutissaient pas sur un diplôme. Or, c’est important à mon sens qu’il y ait une visée… Alors j’ai contacté une autre bénévole du centre Jean-Quarré, Héloise, et nous nous sommes renseignées auprès des institutions importantes du FLE pour prendre la meilleure direction possible pour monter notre école…

 

Comment définiriez-vous Thot ?

On est d’abord une école. Mais vu la manière dont on fait les choses, dont on a créé un réseau, dont on a construit, on se considère aussi comme une start-up associative. On s’est lancées là-dedans comme on se lance dans une création d’entreprise, avec une volonté de faire les choses de manière professionnelle.

Ce qui m’a frappée, c’est que tout le monde me demandait où apprendre le français. Pour eux, c’était une urgence vitale !

Pourquoi vous impliquer dans cette cause ?

Je pense que toutes les causes se rejoignent et quà partir du moment où l’on travaille pour une justice, on travaille pour toutes ! En 2015, c’était Charlie et en même temps, les commémorations de la libération d’Auschwitz. Mais pile au moment de la mise au Panthéon des résistants et des Justes, il y a eu une descente de police à la halle Pajol, dans le 18ème arrondissement, où vivaient des migrants, qui ont pour beaucoup été bombardés de gaz lacrymogène voire matraqués. Ce décalage entre la célébration en grande pompe des résistants et la preuve que rien n’était acquis m’a brisée…

 On se voit comme une sorte de matelas avec de bons ressorts qui permet à nos élèves de rebondir !

Qui sont vos élèves et quelle est leur histoire ?

Ils viennent principalement d’Afghanistan, du Soudan, du Tchad, du Mali, des pays d’Afrique noire en proie à des guerres civiles, mais il y a aussi un réfugié Géorgien et un Tibétain. Chacun ou presque a vu au moins un membre de sa famille être tué sous ses yeux… Quand ils ont commencé les cours chez Thot, ils n’avaient pas l’équivalent du bac dans leur pays, et n’avaient même pour certains pas été scolarisés.

À quel diplôme peuvent-ils prétendre au terme des quatre mois de cours chez Thot ?

Au diplôme d’état, le DILF ou le DELF. Le DILF est pour ceux qui ne connaissent pas du tout l’alphabet latin, ou qui n’ont jamais appris à lire ou écrire, et le DELF, c’est un diplôme officiel d’état valable partout dans le monde, qui leur permet de gravir des marches. On va jusqu’au niveau DELF A2 chez nous.

Je pense que toutes les causes se rejoignent et quà partir du moment où l’on travaille pour une justice, on travaille pour toutes !

Comment est financée Thot ?

Grâce à une campagne Ulule, qui a permis d’ouvrir l’école et de recruter des professeurs qualifiés qui sont rémunérés dignement. Il faut valoriser leur professionnalisme, c’est important pour la solidité de l’école. Il y a eu plus de mille contributeurs partout en France, et aussi à l’étranger. On est une initiative de la société civile ! Nous avons depuis fait des demandes de subventions publiques et privées, mais on va se tourner en priorité vers les financements privés, pour être aussi libres que possible…

 

Moussa ne parlait pas un mot de français à son arrivée, et aujourd’hui, je peux passer 4 heures avec lui à parler dans un café !

La première session de cours est terminée. Êtes-vous satisfaite ?

En juin, nous avons commencé avec 4 classes de 10 élèves. Mais il y a eu beaucoup de déperdition, car certains ont été déplacés à l’autre bout de la France contre leur gré durant ces semaines de cours. Quelques uns se sont découragés face à la difficulté psychologique de l’apprentissage. Mais la grande majorité est restée très motivée. Au total, 25 élèves ont eu leur diplôme, avec de très bons résultats ! Pour la nouvelle rentrée de novembre, on a recruté une quarantaine de nouveaux élèves, on va donc ajouter 4 élèves par classe, histoire de pouvoir diplômer au moins 50 personnes à la fin…

Vos élèves vous-ont ils inspiré des idées d’amélioration ?

On a fait des entretiens avec tous les élèves pour savoir ce qu’il fallait améliorer. Les retours étaient hyper positifs ! Pour répondre à leurs besoins, nous avons recruté quelqu’un qui s’occupe des aspects sociaux, et des démarches administratives comme pour l’obtention du passe Navigo ou de la CMU par exemple, ainsi qu’une avocate en droit des étrangers qui assure des permanences juridiques. Cela déleste les élèves d’une grande source de stress.

Au total, 25 élèves ont eu leur diplôme, avec de très bons résultats !

 Pouvez-vous nous citer des exemples d’élèves dont vous êtes particulièrement fière ?

Moussa, qui est centrafricain, qui a eu les meilleures notes au DILF. Il ne parlait pas un mot de français à son arrivée, et aujourd’hui, je peux passer 4 heures avec lui à parler dans un café. Il a eu et a toujours une vie cauchemardesque, mais fait preuve d’un courage étonnant, et d’une grande finesse d’esprit. Je l’adore ! Il y a aussi Khalil, Afghan de 18 ans arrivé en janvier 2016 en France où il a été accueilli dans une famille, qui a obtenu le niveau A2 du diplôme et aimerait devenir plus tard comédien ! Il participe d’ailleurs au cours de théâtre chez Thot… Ils réussissent tous à mobiliser leurs forces et avoir un esprit de conquête, tout en étant très solidaires les uns des autres. Se mettre dans ces dispositions-là alors qu’ils vivent pour certains à quatre dans une chambre, qu’ils sont stressés par leurs démarches, qu’ils ont vécu des scènes atroces etc, c’est extraordinaire !

 

On n’est pas dans la charité, mais dans la volonté de rétablir un ordre !

Thot, ce n’est pas que des cours…

Non ! On se voit beaucoup, on sort, on fait la fête, on rit, on réfléchit, c’est un lieu qui réunit ! On n’est pas dans la charité ou dans l’humanitaire, mais dans la volonté de rétablir un ordre. Nous sommes tous humanistes autant les uns que les autres.

Comment peut-on vous aider aujourd’hui ? De quoi avez-vous besoin ?

De dons bien sûr ! Mais nous cherchons aussi tout le temps des traducteurs bénévoles en arabe, mais également en dialectes afghans et iraniens, le farsi et le pachtou, pour traduire des documents, etc. C’est essentiel, notamment en début de session !

crédits photo @leparisien

 

Propos recueillis par Wassila Djellouli

© Cyril Chapellier

Leur page Facebook https://www.facebook.com/thot.fle/?fref=ts

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