Interview étapes – Propos recueillis par Agathe Cordelle pour Orange Expo Musées :
En 2014, c’est la Fête du graphisme. Et l’une des références en graphisme en France, c’est bien sûr le magazine étapes. Conçu il y a plus de vingt ans pour les professionnels travaillant à toutes les « étapes » de la chaine graphique, la revue étapes s’adresse aujourd’hui à un vaste cercle de créatifs de tous secteurs : mode, design, architecture, photographie ou gastronomie. Journalistes passionnées, Caroline Bouige et Isabelle Moisy ont rejoint la rédaction du magazine il y a respectivement sept et cinq ans. Elles occupent depuis deux ans le poste de co-rédactrices en chef. Rencontre avec des professionnelles qui n’ont pas peur de prendre des risques.
Comment la rédaction d’étapes est-elle organisée ?
IM : étapes est une petite équipe qui compte 6 personnes. Michel Chanaud est directeur de publication et fondateur du magazine. Nous sommes cinq à la rédaction, deux co-rédactrices en chefs, un rédacteur web, également chargé des réseaux sociaux, une personne est en charge des abonnements, une autre de la communication et du marketing. En tant que co-rédactrices en chef, nous assurons la responsabilité d’un numéro sur deux. Chaque numéro demande environ deux à trois mois de préparation selon les sujets.
CB : Nous avons deux temporalités. J’assure en ce moment la coordination du prochain numéro (é:218 qui comprend un dossier thématique sur la Fiction). Depuis quinze jours, je ne sors plus du bureau. Je récupère les papiers des auteurs, les images en haute résolution, je relis les articles, coupe, corrige, arrange. J’en rédige d’autres, j’éditorialise, j’affine la structure du numéro, je travaille avec les maquettistes…
IM : De mon côté, j’aide à la fois Caroline sur le numéro en cours (mais dans une moindre mesure) et je prépare le prochain numéro qui aura pour thème l’Amérique latine avec un dossier sur les dynamiques de création au Brésil. C’est plutôt une période de prospective qui demande d’être beaucoup à l’extérieur, de voyager, de rencontrer du monde, de voir des projets, des expositions ou d’assister à des conférences. Ce qui est intéressant dans notre métier c’est justement de pouvoir jongler entre ces deux temporalités et de faire des choses très variées d’un numéro sur l’autre.
À qui s’adresse le magazine ?
CB : L’audience a évolué. Il y a vingt ans, étapes : était un mensuel de 80 pages qui s’adressait quasi exclusivement aux graphistes professionnels et aux étudiants. Aujourd’hui, avec la formule bimestrielle organisée autour d’une thématique, nous avons élargi le cercle des lecteurs aux professionnels du design, de l’image, de la communication, de la création visuelle, de la culture et autres curieux en tout genre.
IM : Nous avions envie d’ouvrir la ligne éditoriale du magazine à une autre audience plus large, à d’autres audiences devrais-je dire, en accentuant la question de transversalité entre les pratiques et les champs d’application dans lesquels le graphisme opère. Il y a des statuts, des métiers, des cultures graphiques et des savoirs-faire qui diffèrent au même titre que les domaines dans lesquels le design graphique est exercé. Les frontières entre les professions de l’image ont également éclaté et sont de plus en plus poreuses : illustrateurs, artistes, photographes, directeurs artistiques, webdesigners sont parfois aussi des graphistes. C’est de cette multiplicité que le magazine doit rendre compte. Il y a des sujets sur les interfaces numériques, sur de l’identité visuelle, de la signalétique, de l’affiche, de l’édition…. Cette réalité nous a fait éclater la ligne éditoriale. Le dernier numéro explore par exemple les liens entre le graphisme et la nourriture, l’évolution de l’image culinaire ces dernières années : fooding, packaging, photographie culinaire, identité visuelle des restaurants…
Comment avez-vous géré ce changement de formule ?
IM : On se pose toujours des questions sur cette nouvelle formule! Est-ce que le format est viable? Est-ce que les thématiques abordées parlent à notre lectorat? Les attentes étaient grandes, et les changements de maquette ont été conséquents. Comment parler à un lectorat de niche, très pointu sur le sujet du graphisme tout en touchant un public élargi ? On ne prétend pas avoir trouvé encore la meilleure solution, le magazine doit être en constante évolution. Notre ambition c’est avant tout d’être juste et d’expliquer de manière la plus cohérente comment une image, un environnement visuel se construit, a évolué ou quelles sont les dynamiques qui travaillent la profession.
CB : Quel que soit le thème, notre regard filtre les projets susceptibles de rejoindre les questionnements des graphistes. Nous avons souhaité montrer comment l’image est une manifestation de notre société, et comment, au même titre que l’écriture, elle est capable de la faire évoluer.
Quelle a été votre route vers la rédaction d’Etapes ?
IM : J’ai suivi un cursus d’histoire de l’art et de photographie pour finir sur un master d’anthropologie que j’ai ensuite complété d’un an et demi de recherches à l’Ensablab de Ensad (Paris). Je m’intéressais à des questions d’anthropologie de l’image et du graphisme lorsque je suis arrivée à étapes.
CB : Je suis journaliste. Je m’intéressais particulièrement au potentiel communiquant des villes, notamment dans l’architecture, l’urbanisme que l’on peut considérer en tant que paysage, c’est à dire comme image. Le graphisme, le design étaient une continuation logique…
Qu’est-ce qu’un bon graphiste ?
IM : La question est difficile à la vue des multiples façons de faire du graphisme aujourd’hui. Les graphistes peuvent à la fois avoir des domaines de prédilection dans lesquels ils excellent comme être totalement transversaux, c’est à dire passer d’une pratique ou d’un support à un autre tout en maîtrisant des règles de base à la perfection. C’est peut être cette qualité qui permet de dire ou pas qu’un graphiste est bon. Dans la plupart des cas, une réponse graphique cohérente et originale aide beaucoup de cette considération.
CB : La bonne proposition graphique dépend de la commande : c’est l’association de certaines contraintes, d’une grande connaissance des formes et d’une maitrise technique. C’est la pertinence d’une réponse qui valide le travail graphique. Un bon graphiste, c’est quelqu’un qui connait les règles en vigueur, et qui sait les transgresser à bon escient pour faire évoluer la profession.
IM : Le métier évolue aussi beaucoup : de plus en plus de studios se développent et osent des approches graphiques originales. Le rapport à la publicité, à l’image plublicitaire aussi change, même s’il est lent, on voit apparaître de nouveaux codes graphiques.
Quel serait votre conseil pour quelqu’un qui souhaite travailler dans la presse ?
IM : De la patience … pour pouvoir faire évoluer un objet éditorial qui ne sort que tous les deux mois, et surtout de la curiosité et de l’énergie pour l’emmener au-delà des attentes. Bien qu’il y ait des doutes (il y en a toujours), faire un média ou un magazine, c’est avant tout ne jamais avoir peur de sauter dans le vide ou de se renouveler .
CB : L’apprentissage et le perfectionnement sont des quêtes quotidi
ennes. Trouver la balance entre rigueur et créativité c’est déjà un bon début.
Propos recueillis par Agathe Cordelle (The Editorialist).