La lenteur, l’inconfort, la solitude et la difficulté de la marche, tout ça créait un cadre photographique original ; et un défi personnel formateur.
– D’où venez vous ? Quel parcours avez-vous effectué ?
Je m’appelle Yoann Olawinski, j’ai 24 ans. Je viens de Valence. Mais j’ai un peu bougé pour mes études : j’ai fait une classe prépa à Lyon, une école de commerce à Lille, puis Nice, puis des stages à Paris. J’ai décidé de m’orienter vers la photographie en M2, alors que j’étais prédestiné pour la Finance. Gros changement donc !
– Qu’est ce qui vous a donné envie d’effectuer un si long voyage à pied ? Est-ce une démarche davantage humaine ou artistique ?
Il y a en effet deux composantes dans ce voyage, une dimension personnelle, et une dimension photographique. Les deux se retrouvent assez bien. La dimension personnelle est celle du voyage initiatique, de la confrontation à ses peurs, à l’autre, à la difficulté. La démarche photographique se nourrit de la démarche personnelle. L’ambition documentaire du projet avait besoin d’un oeil différent, plus neutre, qui me sortirait de mes préjugés.
Je suis retourné à l’école pour mon M2 et je me suis rendu compte à ce moment qu’on pouvait rapidement perdre “l’ouverture” acquise à l’étranger,
Sortir de mes habitudes et de mon confort, ouvrir le cadre de mon quotidien, c’était voyager, ce qui devait me permettre de produire un contenu photographique original sur la France. La lenteur, l’inconfort, la solitude et la difficulté de la marche, tout ça créait un cadre photographique original ; et un défi personnel formateur. C’est donc tout à la fois une démarche humaine et artistique.
La dimension personnelle de ce voyage est celle du voyage initiatique, de la confrontation à ses peurs, à l’autre, à la difficulté.
– Si vous avez décidé d’entamer un long voyage pour vous dépayser, pourquoi un tour de France ?
Après un voyage de quelques mois en Thaïlande, je suis retourné à l’école pour mon M2 et je me suis rendu compte à ce moment qu’on pouvait rapidement perdre “l’ouverture” acquise à l’étranger, une fois de retour dans son environnement initial. Alors j’ai eu envie de provoquer ce dépaysement ici même, dans mon environnement, pour en prolonger les bénéfices, pour que l’expérience et ses effets durent plus longtemps, même après la fin du voyage. J’ai aussi eu envie de montrer que l’aventure ne dépendait pas uniquement de l’exotisme de la destination. Le plus important, c’est peut-être l’état d’esprit.
Sortir de mes habitudes et de mon confort, ouvrir le cadre de mon quotidien, c’était voyager, ce qui devait me permettre de produire un contenu photographique original sur la France.
J’ai hâte d’arriver pour avoir le sentiment d’avoir accompli quelque chose
– Comment vous êtes vous adapté à votre mode de vie nomade ?
Assez facilement ! Evidemment, parce que je savais aussi que c’était temporaire. Et puis je dis ça parce que j’approche de la fin. Si vous m’aviez demandé il y a 70 jours, j’aurais peut être répondu autre chose ! Il y a eu une phase d’adaptation, mais je ne me laissais pas le choix. Alors je me suis habitué, c’est aussi simple que ça. Je me rends compte que je me réhabitue vite au confort : après avoir passé une nuit chez quelqu’un qui m’accueille dans un vrai lit, le lendemain est toujours difficile. Mais le sur-lendemain, tout va bien, et déjà l’inconfort ne se fait plus effrayant, à nouveau.
Le plus important, c’est peut-être l’état d’esprit.
La solitude, surtout. Mais elle crée aussi le cadre de mes rencontres ensuite, parce que de cette solitude émerge une envie d’aller rencontrer l’autre, un émerveillement quand je retrouve une zone urbaine et une décontraction peut être. A part ça, il y a la pluie, les routes dangereuses et les automobilistes énervés, les cyclistes énervés aussi, puis les itinéraires erronés qui rallongent le trajet. La chaleur également. On attendait parfois des après-midi entières sur un chemin à l’ombre avec Darwin, sans même se reposer, à suffoquer… Non, je n’étais pas en vacances !
Beaucoup oui ! Ce serait compliqué d’en isoler seulement un. J’avais envie de voir ces paysages que je ne connaissais pas, ces régions et leurs histoires. La vallée du Doubs, ses citadelles, l’Alsace, les plages de la Manche, les falaises Normandes, la Bretagne et ses côtes, l’Atlantique, le Pays Basque et ses villages, le Béarn, la Montagne Noire et ses cours d’eau. Il y a eu beaucoup de coups de coeur depuis le début ! Des endroits où il semble faire bon vivre, où on sent une certaine proximité entre les habitants, une bienveillance même. Je regrette de ne pas pouvoir suffisamment m’intéresser aux régions et à leurs spécialités. Mais le projet est fait ainsi, il m’aurait fallu dix ans, voire plus, pour tout découvrir.
J’avais envie de voir ces paysages que je ne connaissais pas, ces régions et leurs histoires.
– Avez-vous fait des rencontres surprenantes ? Une anecdote en particulier à partager ?
Il y a eu beaucoup de rencontres ! Parfois éphémères, parfois plus profondes. J’ai quand même senti une certaine générosité dans le Nord, (ce n’est sûrement pas le Nord véritable, mais pour le Valentinois que je suis, c’est déjà très très au Nord…). Depuis que je suis dans le Sud (après le Pays Basque), on me pose moins de questions. J’interpelle peut-être moins la curiosité des gens. Des anecdotes il y en a un paquet aussi, c’est pour ça que j’ai essayé de les noter au quotidien dans le journal de bord. Ce sera mon support à souvenir, tout autant que les photos.
– L’excursion a-t-elle fait de vous un amoureux de la France, davantage que vous ne l’étiez avant de partir ?
Une des craintes concernant ce projet photographique était de rentrer dans les clichés qu’on associe à la France. Oui, j’aime encore plus la France et ses régions. Mais il faut être lucide sur ce qu’est la France : ce n’est pas que la tour Eiffel, le mont Saint Michel, et le joli moulin devant le petit ruisseau. Il faut se forcer à la regarder intégralement, y voir ses attraits et ses aspects moins agréables aussi. Les oeillères sont faites pour les chevaux.
Il faut être lucide sur ce qu’est la France: ce n’est pas que la tour Eiffel, le mont Saint Michel, et le joli moulin devant le petit ruisseau. Il faut se forcer à la regarder intégralement. . .
– Regrettez-vous de voir la fin de votre aventure arriver ?
J’ai hâte d’arriver pour avoir le sentiment d’avoir accompli quelque chose, d’avoir réussi à aller au bout. Mais j’ai peur de m’ennuyer un peu, de tourner en rond. Enfin, je n’arrive pas à prédire mon état d’esprit une fois que je serai rentré ! Je vais continuer à travailler sur le projet, trier les photos, les agencer, communiquer dessus et essayer de rassembler autour des valeurs qui s’en dégagent !
– Cette expérience a-t-elle permis une remise en question, une prise de conscience ?
Absolument ! C’est difficilement descriptible, parce que très personnel, et que ça n’a pas vocation à être répliqué à l’identique. Tout le monde aurait tiré ses propres conclusions après ce voyage…
– Prévoyez-vous d’exposer votre travail ailleurs que sur internet ?
Ah ce serait chouette oui ! Je vais y réfléchir en rentrant, et peut être passer par une campagne de financement participatif. Après tout, c’est fait pour être partagé ! Peut être essayer d’exposer dans plusieurs villes, ou à l’étranger. Je crois qu’il y a dans mon projet l’ambition de présenter une vision moins idéalisée de la France et de ses habitants, plus brute, et donc plus réaliste. S’il y a un intérêt, oui, j’exposerai ! Mais je ne le ferai pas par ego.
J’ai aussi eu envie de montrer que l’aventure ne dépendait pas uniquement de l’exotisme de la destination.
– Avez-vous de nouveaux projets pour les années à venir ?
Je crois que celui-ci va encore m’occuper pendant quelques mois. Tant mieux ! Mais ensuite oui, de nombreux projets, pas nécessairement photographiques d’ailleurs. Ce voyage, c’est aussi pour moi une ouverture du champ du possible.
Pour l’heure, l’intégralité des photos de l’Excursion est visible sur Instagram, sur la page @yolawinski où Yoann a su rencontrer une partie de son public. On espère voir le projet se poursuivre et tous les efforts du photographe récompensés ! En attendant, on salue l’initiative du jeune Frenchy et on le remercie pour ses photos et son travail, qui nous offre un documentaire extra sur notre beau pays.