Nous avons posé nos questions à Marguerite Cordelle, architecte d’intérieur-désigner de talent. Il y a quatre ans, cette fan du Japon montait Studio Kokumi, sa propre agence. Aujourd’hui, elle joue avec les espaces de restaurants, bars, maisons, appartements… Elle nous explique en détail son métier.
Tu es vraiment dans la vie des gens et du jour au lendemain, pouf, tu disparais.
Bonjour Marguerite ! Première question, que veut dire Kokumi ?
C’est la 6e saveur au Japon : sucré, salé, acide, amer, umami et kokumi. Celle-ci est semblable à l’umami car il s’agit d’un réhausseur de goût, mais elle ne produit pas la même sensation. Dans le cas du kokumi, on pourrait utiliser les termes de «richesse de goût» ou de «plénitude».
Tu es passionnée de Japon ?
C’est une culture que j’adore et qui m’intéresse énormément. Ils ont une esthétique dingue, toujours très épurée, avec des matériaux super simples et nobles. Ils sont très fins sur tout : la vaisselle, la céramique, l’architecture. J’aime leur sobriété et discrétion.
6e saveur… tu aimes les bonnes choses ?
Oui ! C’est pour ça que je voulais, dès le début, m’orienter vers la restauration car j’adore manger. C’est génial de bosser avec des chefs car tu as beaucoup de liberté d’un point de vue créatif. C’est davantage scénarisé par rapport à un appartement, qui est beaucoup plus intime et personnel.
Mais je travaille aussi beaucoup pour des particuliers aujourd’hui, et ça me plait car les demandes ne sont pas les mêmes que pour les lieux publics, naturellement. Un appartement se doit d’être cosy, confortable, chaleureux… Dans la restauration on peut tester des matériaux plus facilement et il y a tout le concept derrière dont doit rendre compte l’architecte.
Au collège, à chaque fois que j’allais en cours et que je passais devant un bistrot en travaux, je m’arrêtais devant le chantier.
Raconte-nous quand tu as commencé à t’intéresser à l’architecture ?
Quand j’étais au collège, à chaque fois que j’allais en cours et que je passais devant un bistrot en travaux, je m’arrêtais devant le chantier. J’adorais. Je me souviens m’être dit à ce moment là qu’être architecte d’intérieur / designer pouvait être un métier cool.
Connaissais-tu beaucoup de monde dans ce milieu ?
Personne de mon entourage ne bossait dans ce milieu, même si ma mère a toujours été très sensible à l’art en général. Elle a toujours voulu faire l’école Boule et m’en parlait souvent.
C’est génial de bosser avec des chefs car tu as beaucoup de liberté d’un point de vue créatif.
Faut-il savoir dessiner quand on veut être architecte ?
Tout s’apprend. J’ai fait des cours aux Arts Déco quand j’étais au lycée, ensuite j’ai fait Penninghen. Il y a un an de classe prépa : c’est une année très prenante mais on apprend beaucoup et vraiment de tout. Puis 4 ans d’études si on est pris. C’est très technique donc on apprend les bonnes bases.
Mais c’est pendant mon master à la HEAD à Genève que j’ai bossé sur des projets plus concrets, en lien avec la vraie vie et le métier. C’était un master plus orienté scénographie et design. On travaillait sur des stands pour Milan, des expos au Maroc, sur des projets qui se réalisaient vraiment in fine avec des enveloppes budgétaires dédiées et des intervenants.
Aujourd’hui, quand tu travailles sur un projet, tu t’en occupes de A à Z ? Quelle implication as-tu dans les projets ?
Je m’occupe de tout. D’abord, je récupère un lieu (en général pas en très bon état). La première étape, c’est de travailler en plans, sur ordi, c’est organiser l’espace. J’adore cette partie car c’est le plus important, c’est le tout début ! Je propose un plan et ensuite je discute avec le client pour voir si ce que je lui ai proposé répond à ses envies et ses besoins.
Ensuite je travaille plus sur l’aménagement intérieur : la menuiserie sur-mesure, le mobilier, le choix des matériaux, des couleurs. Le plus intéressant c’est quand tu dessines vraiment tout, jusqu’au mobilier, comme les tables, les bibliothèques, les commodes… pour vraiment penser l’espace dans sa globalité.
C’est compliqué de savoir jusqu’où il faut insister pour convaincre le client, il faut savoir doser !
Que trouves-tu difficile dans le rapport aux clients ?
Ce qui est dur c’est de les surprendre, de leur proposer des choses auxquelles ils ne s’attendent pas et de les convaincre que c’est la bonne solution ! C’est difficile mais c’est un gros challenge car tu sais que ce que tu as dessiné c’est le meilleur choix selon toi, c’est ce que tu souhaites vraiment faire, ce en quoi tu crois ! Tu essayes de leur faire plaisir mais tu ne veux pas complètement annuler ce que tu as pensé, toi. C’est compliqué de savoir jusqu’où il faut insister, mais il faut doser et faire des compromis !
Les clients veulent-ils tous toujours la même chose ?
Oui, globalement les clients demandent des choses semblables. En ce moment, beaucoup de bois par exemple. D’ailleurs, dès que l’on propose un design plus dur et franc, ils considèrent que c’est froid. Avec le bois, il y a cet imaginaire de la maison de campagne, très chaleureuse, alors que le marbre peut être très chaleureux aussi ! Dans les couleurs, le bleu et le vert reviennent souvent, ce sont des couleurs qui rassurent.
Tu dessines quelque chose sur ton ordi, et derrière il y a des gens très compétents qui t’aident à réaliser ce que tu as dessiné. J’ai toujours trouvé ça dingue.
Comment rassures-tu les clients d’ailleurs ?
J’essaye de rassurer le plus possible les clients avec les rendus en 3D, qui sont très réalistes. Mais il y a des clients qui sont plus ouverts que d’autres.
Comment arrives-tu à leur faire comprendre ce que tu imagines ?
On essaye vraiment de pas montrer trop d’images de références et de ne pas recevoir trop d’images d’inspiration de leur part. Les images de références, c’est en général très figé et les clients ne savent pas forcément ce qu’ils aiment dans ce qu’ils nous montrent. On préfère leur présenter des assemblages de matériaux, des détails de menuiserie, des couleurs qui se marient bien.
Je préfère utiliser des mots plutôt que des images : il faut prendre le temps de décrire ce qui nous plaît nous et de cerner ce qu’ils veulent, eux.
Un projet qui t’a marqué ?
Une maison dans le 16e à Paris qui était un gros projet intéressant. C’était une maison d’architecte de 280m2 dont on a gardé toutes les façades repensé tout l’intérieur. Aujourd’hui, on travaille sur l’extension sur le toit terrasse. J’aime bien car c’est un projet très global.
Dernièrement on a aussi fait le bar à vin Fulgurances, En face, dont on est fier. Une très bonne adresse !
Quel est ton rêve ?
J’aimerais énormément travailler pour un hôtel car on travaille à la fois sur des lieux publics côté restauration et sur des lieux plus privés côté chambres. Puis les espaces hybrides, les autres lieux de vie. Un hôtel, c’est mille projets en un, mais avec une unité !
A quel âge as tu monté ta boite ?
À 24 ans.
Tu ne voulais pas passer par une agence avant de faire le grand saut ?
Avant de lancer ma boite j’ai travaillé pendant un an avec une autre architecte d’intérieure, on était à deux sur un projet que je trouvais très intéressant et qui m’a beaucoup donné envie de monter ma boite. Ça s’est bien passé et je trouvais ça passionnant, mais je sentais que j’étais meilleure quand je n’avais personne au dessus de moi, quand j’étais mon propre chef.
Mon associé est architecte, ce sont deux métiers très complémentaires. Du coup quand je pars dans quelque chose de trop chichiteux, de trop “déco” ou bien quand je ne m’attarde pas assez sur les grandes lignes, il me recadre.
Quelle est la partie que tu préfères ?
Le chantier car c’est très excitant. Tu dessines quelque chose sur ton ordi, et derrière il y a des gens très compétents qui t’aident à réaliser ce que tu as dessiné. J’ai toujours trouvé ça dingue. C’est magique. J’aime le fait de passer de la 3D à la réalité et de voir que c’est si proche, et d’être beaucoup à avoir travaillé sur ça !
D’ailleurs, j’adore les liens avec les entreprises qu’on a, avec lesquelles on travaille souvent, sans qui on ne ferait rien. Tout le monde fait tout pour que ton projet se réalise. C’est très fort !
C’est un peu comme si on laissait plein de petits bébés partout.
Est-ce que vous prenez le temps de fêter les projets ?
C’est toujours vraiment dans le rush donc ça passe un peu à la trappe. Ce qui est bizarre surtout c’est que tu t’investis beaucoup, tu es vraiment dans la vie des gens et du jour au lendemain, pouf, tu disparais. C’est assez particulier finalement ! C’est pour ça que j’aime les projets longs car on est plus longtemps en contact avec les clients.
Tu rentres dans leur intimité finalement…
Oui, et c’est étrange car ce sont des gens qu’on ne connait pas du tout qui se livrent complètement à toi tout comme nous on se livre complètement sur ce qu’on aime, sur nos goûts. Et ensuite on ne revient plus jamais sur le lieu (quand c’est un espace privé). C’est un peu comme si on laissait plein de petits bébés partout.
Que peut-on te souhaiter pour les prochaines années ?
Ce dont j’ai vraiment envie c’est de travailler sur des lieux intemporels, qui ne sont pas marqués de mode ou d’époque. Car à l’heure où tout le monde souhaite des papiers peints, des fleurs ou du bois, je suis attirée par des matériaux plus bruts et des lignes plus épurées.
Tout le monde fait tout pour que ton projet se réalise. C’est très fort !
Quel est le matériel qui te fait rêver ?
La tôle ondulée ! C’est un matériau déjà dessiné, qui a déjà une géométrie et un graphisme forts mais très simples. Il se suffit à lui-même. Mais les gens considèrent que c’est très froid ! J’essaye de prouver le contraire…
As-tu une expérience qui t’a particulièrement marquée ?
J’ai fait un voyage marquant à Venise quand je faisais mes études. Un prof nous a fait un parcours de tout ce qu’avait construit un architecte/designer qui s’appelle Carlo Scarpa, un architecte que j’aime beaucoup : il a notamment fait des escaliers exceptionnels, dont un pour des particuliers qu’il a mis 6 ans à réaliser! Il a vraiment le souci du détail.
Merci Marguerite d’avoir répondu à nos questions !
Retrouvez le site de Studio Kokumi ici.
Rendez-vous sur la page Facebook et Instagram pour suivre ses chantiers et projets.