A seulement 23 ans, Adrien Deslous-Paoli a créé la marque de maroquinerie made in France De Rigueur. Il nous a raconté les étapes de la création d’entreprise et l’ascenseur émotionnel que vit chaque entrepreneur.
Certaines personnes ne te prennent pas au sérieux mais quand tu connais ton projet par cœur et que tu en parles avec passion, on t’écoute.
Peux-tu te présenter ?
Je viens d’être diplômé de l’Edhec, où j’y ai monté De Rigueur lors de mon master 2 Entrepreneuriat avec deux associés, Jérôme et Manon. L’idée est née en 2008 grâce à un petit cartable en cuir que j’ai trouvé dans le grenier de ma grand-mère à Belley dans l’Ain. Il appartenait à mon arrière-grand-père, Charles Paoli, et datait des années 40. C’est un modèle qui s’appelle le Baise-en-Ville : je trouvais le nom marrant, un peu surprenant. J’ai commencé à l’utiliser pour transporter mes cours, mon portefeuille, mes clés, et ai reçu pas mal de retours positifs sur son élégance et sa provenance. Très pratique par la même occasion, je me suis demandé s’il n’y avait pas quelque chose à faire pour ne pourquoi pas remettre cet accessoire au goût du jour.
Déjà à l’époque tu voulais monter ta boite ?
Je voulais relancer ce produit, auquel j’étais attaché. Ça me faisait plaisir de transmettre un peu cet héritage. Du coup j’ai fait des recherches et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas tant de marques qui proposaient quelque chose de semblable, c’est à dire qui mélange praticité, élégance et masculinité. On voulait vraiment répondre à la problématique du “comment un homme transporte ses affaires lorsqu’il sort de chez lui”, en proposant quelque chose de pratique et élégant.
On a donc fait le « Start-up Week-end » à Lille et on a questionné une centaine de personnes de notre cible dans le Vieux-Lille.
On a fait une étude et 76% des personnes nous ont dit qu’en effet la problématique « encombrement de poches » était bien là.
On a donc construit le projet autour de cela. Puis, on s’est lancé.
C’est à ce moment là que je me suis vraiment rendu compte que la création de marque est un casse-tête. Il faut choisir un nom, choisir des couleurs, penser son produit à fond, la façon dont il va évoluer avec les gens, le temps, la mode, et bien sûr construire un ADN, un univers de marque.
Il faut penser à comment on va communiquer, quel est le ton que tu vas employer, où sourcer les matières, comment fabriquer les produits…
Etais-tu familier avec le monde de l’entrepreneuriat ?
Je me suis lancé car ça faisait longtemps que j’avais ça dans le ventre. J’ai eu quelques expériences en entrepreneuriat car j’étais président d’une association qui s’appelle Total Edhec Entreprendre, j’organisais un concours de créations d’entreprises.
Entreprendre est pour moi une passion maintenant, et une solution à la sortie de crise.
Et la maroquinerie ?
La maroquinerie a toujours été un univers qui m’intéressait, car je trouve que le cuir est une matière noble, belle à travailler, intéressante, vivante, tout comme le bois.
Quelles ont été les étapes dans la création de la boite ?
La première étape : choisir un nom et acheter le nom de domaine. Un conseil : surtout prendre son nom de domaine avant de lancer sa boite, car quand j’ai commencé à regarder, les noms que je voulais étaient pris.
Ensuite, avec Manon et Jérôme, on a réfléchi sur l’esprit de marque et en parallèle je cherchais un artisan en France. J’en ai rencontré une première vers Lille grâce à l’annuaire, mais avant j’ai eu aussi plein de “bash”, des gens qui m’ont dit que ça n’existait plus, qu’il n’y avait plus rien en France. Ils m’ont même conseillé d’aller au Portugal ou au Maroc !
Tu as tout de suite pensé à la fabrication en France ?
Oui, d’autant plus que le Baise-en-Ville est français, donc pourquoi ne pas le faire fabriquer en France ? Par ailleurs, je trouve qu’en France, nous avons encore la légitimité sur la maroquinerie, on a des marques de luxe qui tirent vraiment le marché ver le haut : Hermès, Louis Vuitton, Goyard…On est sans doute plus légitime que sur d’autres secteurs…
Les cuirs proviennent d’Italie, mais toute la fabrication a lieu en France.
J’ai passé six mois à trouver les bons artisans et fournisseurs de cuir et de quincaillerie mais j’ai fini par tomber sur des passionnés. Là, j’ai vraiment compris ce qu’était la maroquinerie et aimé la relation avec les fournisseurs.
J’ai appris à fabriquer, à couper le cuir, à choisir les peaux.
Je ne savais rien, ni comment le cuir évolue ni comment il réagit à la lumière, à la chaleur, à la pluie.
Le premier artisan à Lille avec lequel j’ai commencé à travailler au début n’était pas assez équipé pour mon projet de maroquinerie « haut-de-gamme », donc je suis allé voir du côté de Lyon, pour finalement travailler avec deux ateliers : l’atelier FORELLA et l’atelier GRECH.
Qu’as tu changé de celui de ton grand-père ?
On l’a agrandi et fait en sorte qu’il ait un format iPad. La doublure en suédine protège l’iPad et il y a une poche intérieure. Mais pour réussir à tenir des prix abordables, il faut que l’objet soit le plus simple possible.
On voulait quelque chose de très épuré car l’idée est vraiment d’être dans la praticité et l’élégance.
C’est un objet efficace qui répond à son usage qui est celui de simplifier la vie de tous les jours.
Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
Voici trois difficultés majeures que nous avons rencontrées :
La première : le nom. Quand tu choisis, c’est pour la vie, on ne change pas comme ça. Le nom de la marque a beaucoup évolué ! Le nom de domaine du premier nom que je voulais était pris donc j’ai dû rapidement en trouver un autre. J’en ai donc beaucoup parlé autour de moi et on m’a proposé « Le Cartable d’Adrien » mais après en avoir discuté autour de nous, ça faisait très juvénile et trop connoté Le Petit Nicolas. Ce nom allait induire le client en erreur puisque nous ne vendions pas un produit pour enfant, notre cible se situant entre 25 et 35 ans. Le Baise-en-ville par définition est intemporel. D’autant plus que nous avions rencontré un consultant en stratégie pendant le “Start-up” week-end qui nous a dit que “Le Cartable De…” était un nom “pourri” car trop descriptif, bloqué sur un produit et difficile à protéger juridiquement. Il fallait quelque chose de plus impactant, qui reste dans l’esprit des gens et ne nous cantonne pas à un seul objet. Il avait tout à fait raison !
On s’est retrouvé dans la situation ou l’on avait plus de nom de marque.
On a fait un appel à l’aide sur Facebook et on a eu 150 noms de proposés. On les a choisis, on a tout écrit, et à trois on en a choisi quatre qui nous plaisaient vraiment. « Pandore », « Dur à cuir », « De Rigueur » et « Adrien Paoli ».
On a demandé aux internautes de voter parmi les 4. “Dur à cuir” est arrivé en première place mais le positionnement « blagues carambar » n’était pas l’image de notre cible. Nos préférés étaient “Adrien Paoli” et “De Rigueur”.
Pour “Adrien Paoli”, il y avait le coté français et italien, mode, créateur. Mais il y avait un vide au niveau de l’univers de la marque à combler, alors qu’avec De Rigueur, il y a la qualité française qui se dessine.
De Rigueur, une expression française connue des anglophones, est un peu vieillotte et a cette petite particule qui augmente le côté qualitatif, la rigueur pour le côté rigoureux, minutieux du savoir-faire artisanal français.
C’est un nom qui peut aussi être utilisé en anglais et qui est frenchie en même temps.
Entre nous, c’est aussi un pied de nez à la période de rigueur, la période d’austérité.
La start-up de rigueur qui nait dans une période de crise. Les indicateurs sont au rouge mais on se lance !
La deuxième : trouver une production française.
La troisième : le côté financier, l’emprunt à la banque, le prêt d’honneur. Tout ce qui est en rapport avec les institutions financières et l’administration. Tout est toujours compliqué, on te met des bâtons dans les roues alors que tu veux créer des emplois, personne ne nous facilite la tâche. Par exemple, quand tu crées une société, tu dois publier ton annonce dans un journal d’annonces légales. Ça coûte 173 euros, et ça ne sert à rien. Ca sert à dire : “j’ai créé ma société c’est officiel”. Alors que la société est validée seulement quand elle est validée par le greffe, l’Urssaf, etc. Tu dois donc avoir en plus cette publication, donc dépenser environ 200 euros, alors que tu en as besoin pour beaucoup d’autres choses.
J’étais très surpris par des formules aussi archaïques.
Tu as monté ta boite à 23 ans, c’est assez jeune !
Certaines personnes ne te prennent pas au sérieux mais quand tu connais ton projet par cœur et que tu en parles avec passion, on t’écoute.
Et comme tu le fais avec passion, tu expliques de façon carrée ce que tu veux et où tu veux aller. Même si certains tentent de te tondre, on sent quand même une grande empathie et des portes qui s’ouvrent plus facilement, qui partagent leur expérience.
Quels sont les projets de De Rigueur ?
On a plein d’ambition, on a plein d’idées pour l’avenir. L’idée serait de se développer sur la maroquinerie connectée et développer pour Noël une sacoche ordinateur géo-localisable à partir de ton smartphone. On prépare aussi une grosse levée de fonds d’ici deux ans, à l’occasion du lancement d’une collection connectée en plein développement, mais pour l’heure on n’en dit pas plus : suspense… !
Quel a été le meilleur conseil qu’on t’ait donné ?
Premier conseil : il y a un entrepreneur pendant une conférence qui nous a dit : « quand tu as un projet, n’hésite pas à en parler autour de toi », ne le garde pas que pour toi. Plus tu vas en parler autour de toi, mieux tu vas connaître ton projet et avoir des questions qui ne t’étaient pas venues à l’esprit, sur lesquelles tu vas pouvoir réfléchir, te poser. Le projet devient de plus en plus solide.
On ne peut pas penser à tout, tout seul.
Alors que si tu le gardes dans ton coin, tu vas développer une sorte de paranoïa, sûrement faire des erreurs que tu vas payer plus tard. Il ne faut pas avoir peur que quelqu’un pique ton idée, personne ne montera ton projet mieux que toi car le projet tu y travailles depuis longtemps, tu sais où tu veux l’amener.
Deuxième conseil : il faut se lancer, ne pas avoir peur et s’inspirer de la technique du “Lean startup” qui est de lancer sa boite à partir de rien et puis à chaque fois tu l’améliores, tu es constamment en beta phase. Si tu as peu de moyens et très envie, tu peux le lancer. Et au final ça fera quelque chose de très cool. Ce conseil s’adresse surtout aux projets Web.
Troisième conseil que j’ai d’ailleurs sur mon fond d’écran: « Doubt kills more dreams than failure ever will » : quand tu regardes les statistiques, il y a 6 millions de personnes en France qui ont envie de se lancer un jour, d’entreprendre. Sur les 6 millions, il y en a 300 000 qui le font vraiment. Pourquoi ? Car ils ont peur, car on doute et on se remet en cause.
Monter un projet, créer sa boite, c’est mélanger vie privée et vie professionnelle.
Ce n’est plus avoir la même appréhension du monde et tout mélanger. On peut péter des câbles, avoir des mauvaises nouvelles : c’est un ascenseur émotionnel constant.
C’est épuisant mais il faut parfois réussir à souffler un peu, c’est pour ça qu’être accompagné est important, pour prendre du recul et lâcher du lest. On a été épaulés par l’Edhec au niveau de la rédaction du business plan, du plan financier, du positionnement de marque. On a crée tout l’univers de marque avec l’aide des professeurs de marketing, de droit. Le doute est constitutif de la création d’entreprise, donc il faut l’accepter et ne pas abandonner !
Quand tu penses aux Français, à la France qu’est-ce qui te vient à l’esprit ?
Les Français ont un peu peur de l’échec, c’est dommage. Beaucoup de gens me soutiennent mais beaucoup sont assez pessimistes et sceptiques par rapport à la création d’entreprise, ils te cassent un peu les jambes et le moral. Pourtant, en France on a tellement de belles choses, une belle histoire, une capacité créative que le monde nous envie, etc. On oublie parfois de se poser et de se le dire ! On se plaint beaucoup non ? L’hiver on veut être à la plage, l’été on a trop chaud.
Mais les jeunes sont de plus en plus conscients de la chance qu’ils ont. J’ai l’impression qu’il y a vraiment une différence entre l’état d’esprit de nos parents et le nôtre. Ils sont plus frileux alors qu’on est plus prêts psychologiquement à essayer autre chose dans nos choix de vie.
Le salariat tel que nos parents l’ont connu ne nous convient plus et n’offre plus la même sécurité. On ne peut plus rentrer dans une boite aussi facilement, on nous dit qu’on nous « gardera dans le vivier » pour faire espérer et attendre.
Le CDI, c’est devenu quasiment impossible.
On s’en est tous rendu compte donc on est vraiment dans l’alternative : partir à l’étranger, voyager, bosser pour une startup. C’est risqué, mais en fait c’est moins risqué que de se lancer dans une grosse boite et d’attendre le CDI, non ? Ce n’est pas vous qui me direz le contraire… ! (aux Petits Frenchies)
Tu voulais devenir quoi quand tu étais un tout petit petit frenchie ?
Je voulais devenir un chef étoilé ! Avoir un restau c’est cool…Qui sait, peut-être qu’un jour je le ferai ?