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Par Philippine Sander - Le 13 février 2017

Nous avons englouti les deux tomes de la BD de Pénélope Bagieu Culottées et nous vous conseillons très fortement de faire pareil.  C’est ultra digeste rassurez-vous. Ces deux tomes rassemblent des femmes, jeunes et âgées, de tous les pays, qui ont une fougue contagieuse. Ces mini biographies de “femmes qui ne font que ce qu’elles veulent” nous ont donné sacrément envie de bouger nos fesses. On a rencontré la talentueuse Pénélope dans le charmant hôtel Henriette à Paris à l’occasion de la sortie du 2e tome.

Pourquoi on a particulièrement eu le béguin pour Culottées ? Car c’est le cadeau surprise parfait à offrir à un(e) pote mais aussi à des petites/jeunes filles qui ont besoin de modèles un peu plus badass. 

Pour que ça garde de la crédibilité, je pouvais raconter les choses de la manière que je voulais mais il fallait qu’il n’y ait rien de faux.

D’où viens-tu ?

Je suis Parisienne !

Depuis quand dessines-tu ?

Depuis que j’ai 3 ans !  Après, j’ai fait une école d’art, les Arts Deco, où j’ai fait de l’animation.

La BD est arrivée à quel moment ?

J’ai travaillé dans la pub, l’édition, la presse, j’étais illustratrice. J’ai eu un blog, il y a 10 ans, c’était le tout début des blogs. Et je bossais pour un magazine qui m’a demandé de faire une BD en fin de magazine, Joséphine. Après j’en ai fait une BD !

Comment est née la BD Culottées ?

Je n’y pensais pas vraiment, mais il y avait certains personnages réels dont je m’étais toujours dit qu’un jour je leur consacrerai un album entier. Katia Craft, Peggy Guggenheim… Mais il commençait à y en avoir trop, je les ai donc réduits pour en faire plein dans un même album.

Ce sont des femmes qui ont pris en main leur destin, qui ont rencontré de l’adversité, puis qui ont à un moment donné de leur vie décidé qu’elles ne se laisseraient plus faire.

Toi-même, tu es culottée  ?

Quand vous faites des métiers de création, où vous êtes seuls, il faut y aller. Et quand vous êtes une femme il faut y aller deux fois plus, donc oui !

Ça n’a pas été trop compliqué de synthétiser tout ça ?

Le plus dur et le plus marrant, c’est de digérer plein de documentations et de garder l’essentiel. Pour ça, Il faut tout de suite se dire qu’on ne va pas tout raconter, il faut être prêt à faire un peu son deuil de certains grands moment de la vie de ces femmes. Il faut se focaliser sur les moments qui nous intéressent, avec le thème qui nous intéresse. En l’occurrence, pour moi, ce sont des femmes qui ont pris en main leur destin, qui ont rencontré de l’adversité, puis qui ont à un moment donné de leur vie décidé qu’elles ne se laisseraient plus faire.

Il fallait donc choisir les moments charnières et éloigner tout le reste. D’autant plus que je voulais que ce soit hyper court. Comme je parle de personnages que les gens ne connaissent pas en général, l’idée, c’est qu’après avoir lu 5 ou 6 pages sur eux, on se dise “Comment ça se fait que je n’avais jamais entendu parler d’elle ?

Le but c’est de lancer un hameçon, mais pas du tout de faire des biographies exhaustives. Le format court était logique, ça n’aurait pas été possible autrement car j’en publiais une par semaine sur lemonde.fr. Et à titre perso, ça ne m’intéresse pas trop de lire des bios en général…

Il faut que ce soit des histoires qui me fassent vibrer personnellement, pour que j’arrive à me les approprier et à les raconter d’une manière qui donne envie !

Quelle règle t’es-tu fixée ?

Ne rien inventer. Pour que ça garde de la crédibilité, je pouvais raconter les choses de la manière que je voulais mais il fallait qu’il n’y ait rien de faux. Ce sont des faits réels que j’organise comme je veux, donc c’est très subjectif. Je transforme les personnages pour qu’ils ressemblent à l’idée que j’ai envie de me faire de leur vie en gardant toujours ce critère : qu’il n’y ait rien de faux.

Est-ce que tu pensais à un public en particulier lorsque tu dessinais ?

Pas du tout. La surprise que j’ai eu quand j’ai commencé à faire les dédicaces c’est qu’il y avait beaucoup de lecteurs qui les avaient fait lire à leurs enfants. Il y avait beaucoup de petites filles. Je mettais en garde les parents pour l’histoire sur Phulam, moins simple à lire pour des enfants. Mais c’est bien pour elles d’avoir des modèles qui changent !

Ce qui est cool c’est que Culottées dédramatise un peu certaines choses. L’histoire de Phulam Devi est justement assez badante, on reste scotché à son histoire, c’est très dur. Mais en même temps tu ne la tournes pas de manière angoissante. C’est plutôt un message d’espoir…

Pour que ce ne soit pas plombant, je dois montrer qu’elles restent maîtresses de ce qui leur arrive. Il n’y a pas de moment où elles subissent pendant trop longtemps. Elles se servent de tout ce qui leur est arrivé de négatif pour rebondir et repartir. C’est ça qui était hyper important : montrer que quelque soit le début de notre histoire, on peut avoir un plan B.

Margaret Hamilton par exemple veut être actrice mais elle est moche, elle choisit donc de mettre son physique atypique au service de sa carrière. Rien de tout cela n’est subit, au contraire, elle trouve un plan B et rafle tous les rôles de “méchante”.  Même Phulan Devi ne se pose pas en victime : c’est compliqué parce que pour le coup elle a vraiment une vie de victime mais même elle se dit que c’est pas grave, qu’elle s’en fout,  elle va devenir une hors-la-loi et elle va se venger !

Il y en a certaines qui ont fait des choses minuscules à l’échelle du monde, alors que j’aurais pu mettre la première femme qui a traversé l’Atlantique en avion par exemple

Comment trouves-tu ces femmes ? Qu’est-ce qui fait que tu as croisé leur route ?

Elles n’existent pas vraiment. On raconte un peu toujours les mêmes femmes, Marie Curie et Jeanne d’Arc. Mais en fait, quand on commence à s’exercer l’oeil, on se rend compte qu’elles sont partout mais elles ne sont jamais les héroïnes. Elles sont la femme de quelqu’un, elles sont un personnage d’arrière-plan dans un documentaire, et là on se dit “Mais en fait c’est sa femme qui est ouf c’est pas lui !” . C’est ça qui est assez intéressant et triste à la fois. Et finalement on se rend compte qu’il y en a des tonnes. J’en avais le double à la base mais je n’en ai gardé que 30.

On a beaucoup de documentation sur notre culture à nous, sur l’Europe  et sur l’Amérique, sur les femmes blanches du XXème siècle. À partir du moment où on commence à chercher ailleurs, on trouve bien sûr des femmes hyper fortes partout, dans toutes les cultures. Et la diversité des profils est dingue !

Ensuite le choix se fait de manière complètement subjective : il y en a certaines qui ont fait des choses minuscules à l’échelle du monde, alors que j’aurais pu mettre la première femme qui a traversé l’Atlantique en avion par exemple. Mais il faut que ce soit des histoires qui me fassent vibrer moi, pour que j’arrive à me les approprier et à les raconter d’une manière qui donne envie, parce que sinon ça deviendrait très biographique et moins marrant à lire.

Tu parles en effet de femmes de tous les âges. Il n’est jamais trop tard pour foncer, s’écouter, réaliser ses rêves. Et tu fais passer le message sans aucune niaiserie !

Oui c’est dur car la frontière avec les trucs un peu moralisateurs et culculs, elle est fine. Je me relis tout le temps pour être sûr que ce n’est pas gnangnan.

Parfois je me dis que c’est une évidence de finir l’histoire par “Et elle a eu le courage de suivre ses intuitions ! “ Je me dis que ça fait un peu punchline de magazine, puis je me demande si vraiment on l’a trop entendu. Et finalement, je ne suis pas sûre ! Et ce n’est pas grave de le réentendre encore, et ce sera super quand on l’aura trop entendu !  On a encore de la marge…

Est-ce qu’il y en a eu une qui a été un peu compliquée à écrire ?

Phulam Devi, c’était difficile.  J’ai d’abord lu son autobio qui est horrible, qui est mille fois plus détaillée que ce que j’ai raconté. Notamment quand elle raconte les 16 premières années de sa vie où elle se fait violer toutes les 5 pages, c’est vraiment pas marrant. Elle est donnée par ses parents, n’a aucune protection d’aucun adulte, donc c’est glaçant à lire.

Pendant tout le bouquin, on voit le drame arriver, et à chaque fois c’est vraiment ce qui se passe, c’est horrible tout le temps et il n’y a pas comme dans un film un moment où finalement ça va mieux. En le lisant, j’avais tellement envie de ce moment  où elle prendrait une batte et elle allait se venger parce que le monde entier s’acharnait sur elle. Que du coup quand elle devient une hors-la-loi on est tellement content qu’on a envie de lui crier “oui vas-y !!”.

En l’écrivant tu as remis en question sa publication ?

Quand je le lisais je me demandais vraiment comment j’allais le raconter, et un moment je me suis dit que je n’allais pas le faire. Car déjà, c’est difficile à dessiner. Même si la BD permet plein d’ellipses et de pirouettes pour supprimer les choses horribles.

Depuis le début je raconte tout sur un ton un peu badin, mais là c’est quand même l’histoire horrible d’une femme qui a existé : est-ce que ce n’est pas trop irrespectueux ? Ça me paraissait anecdotique de faire de la BD de ça : je me suis demandée si on pouvait faire de la BD de tout.

Je me relis tout le temps pour être sûre que ce n’est pas gnangnan.

Donc j’ai mis cette histoire de côté. Après, je suis revenue sur ma décision, car c’était important pour moi de rendre connues ces histoires, que les gens sachent que ça a vraiment existé parce que ça parait tellement fou. Moi ça m’a tellement énervé que j’aimerais bien que tout le monde soit énervé. Même si c’est pas facile à écrire, il fallait vraiment que je le fasse !

Quand je l’ai fini, j’avais vraiment le sentiment de devoir accompli, de fatigue physique. J’avais réussi !

Qu’est-ce qui t’a aidé dans l’écriture de son histoire ?

Je ne savais pas quel ton employer, donc je me suis demandée comment elle-même racontait son histoire dans son autobio. Et en fait, elle raconte toujours les choses comme elle les a perçu, à l’âge qu’elle avait. Elle ne dit pas “et là ce salaud m’a violée”, elle dit “j’ai pas compris, il m’a emmené dans une petite cabane”.

Elle ne comprenait pas, à un moment elle explique “il m’a battu de l’intérieur, il avait un serpent dans son pantalon”, c’est la pire phrase de toute son autobio. Ce sont ses mots, je ne me serais pas permise d’inventer une blague. On ne met pas en scène l’horreur, c’est une petite fille qui raconte ce qui lui ait arrivé. Et c’est atroce. J’étais contente mais j’étais gênée aussi car je me disais, “j’espère vraiment qu’on ne va pas croire que j’ai romancé, rajouté, c’est vraiment aussi horrible que ça”.

C’est la seule fois sur le monde.fr qu’il y a eu des réactions. Je leur ai demandé s’ils ne pensaient pas qu’on devait mettre un warning, prévenir que cette histoire pouvait être difficile à lire. Mais finalement non, ce n’est pas le rôle des journalistes de dire aux gens “je vous préviens, c’est dur”. Ce n’est pas le job d’un site d’actu de préciser, de donner déjà une intention au texte. Tu dois pas déterminer d’avance comment les gens doivent réagir.

Ce n’est pas une fiction et ça arrive tout le temps donc plutôt que de se dire “c’est trop dur je ne veux pas voir”  est-ce qu’on ne peut pas se dire qu’il faut vraiment faire en sorte que ça n’arrive pas ?

Tu as lu une bio pour chaque femme ?

Oui quand ça existait. Mais le problème c’est que comme elles ne sont pas connues, il y a assez peu de documentation sur certaines. Mais quand elles en avaient écrit une, je les lisais -sachant que tu trouves les ⅔ d’occasion car elles en ont tiré 500 exemplaires ! Quand il n’y a vraiment pas grand chose, il faut faire autrement. Pour Giorgina Reid, la dame qui a sauvé le phare, il n’y a rien, elle est complètement anonyme mais j’ai trouvé des coupures de journaux des années 70.

Je me suis demandée si on pouvait faire de la BD de tout.

Pour Wu Zetian, l’impératrice chinoise, il y a beaucoup de documentation, elle est mentionnée dans plein de livres d’histoires mais d’une manière insupportable. Elle est dépeinte comme une sorcière qui buvait le sang des enfants. Les historiens donnent une couleur à sa vie, parfois même sans raison. Elle est dite calculatrice car elle était ambitieuse. Ok elle faisait tuer les gens qui voulaient la tuer mais c’est ce qu’à peu près tous les empereurs ont fait ! Oui elle était carriériste et ambitieuse et oui rien ne l’arrêtait, mais comme un empereur…

Et ça a été dur de trouver des femmes badass françaises ?

Non, les Françaises il y en avait plein, mais elles étaient un peu trop connu. J’ai tenu à en mettre plusieurs et à en mettre régulièrement.

As-tu une autre femme badass française en tête dont tu n’as pas parlé et qui vaut d’être connue ?

Claire Nouvian, qui monté l’ONG Bloom. Je l’ai rencontrée car elle combat le chalutage en eau profonde. C’est la femme la plus charismatique que je connaisse dans ses combats militants, tu passes 10 minutes avec elle, tu la suis où elle veut. Elle est tellement dévouée à ça, elle a une fougue incroyable, c’est la personne la plus idéaliste et active que je connaisse. Elle n’abandonne jamais.

Ça nous est arrivé de parler de la situation politique dans le monde, elle fait pas mal de choses pour l’éducation des petites filles. Je lui disais, que de toute façon c’était foutu, le monde va dans le mur, c’est désespérant. Et elle me répondait : “mais justement ça te donne pas envie de te battre encore plus ? Justement on va les faire chier jusqu’à la fin !  Elle ne s’arrête jamais !”.

Elle est complètement anonyme mais j’ai trouvé des coupures de journaux des années 70

Avez-vous cherché à rencontrer les femmes qui sont encore vivantes ?

Non , et ça me fouterait bien les jetons ! Car c’est plus intimidant et paralysant qu’autre chose, et je veux vraiment raconter ma version. Connaitre les gens ça peut être bloquant.

Sonita Alizadeh, la très jeune rappeuse, a  lu son histoire sur le monde.fr, car elle est jeune et elle est sur internet. C’est une fois que l’histoire était publiée qu’elle m’a fait des commentaires, donc j’ai fait un micro boulot journalistique avec elle qui était super utile.

Toi qui habites à l’étranger, quelle différence vois-tu entre l’audace des femmes françaises et celle des américaines ? En quoi l’attitude des femmes est-elle différente ?

Aux USA, ils sont beaucoup moins latins que nous. Les femmes ont une place plus enviable. Par exemple, ils ont mis le mot harcèlement plus tôt que nous sur ce qui est chez nous de la drague. Ça n’arrive jamais qu’on se fasse siffler dans la rue à New-York.  C’est rentré dans le crâne des gens, les comportements sexistes etc. Ce sont des choses établies.

À côté de ça, aux USA, pour les femmes qui ont mon âge, il y a une pression, elles travaillent comme des folles, ont un bac +12 mais on leur explique bien qu’à un moment donné elle vont tout arrêter pour faire des enfants. Et quand elles auront des enfants, c’est hors de question qu’elles travaillent. Il y a un pression par rapport à ça alors qu’en France, toutes mes copines qui ont des enfants bossent. Aux USA c’est une religion d’être parents, c’est la fin en soi. C’est ça qui est paradoxal. Elles bossent dans la finance, mais s’arrêtent à 35 ans. Pour elles, c’est normal cette obligation de choisir.

Elles donnent tout pendant 10 ans mais presque en sachant que ça va s’arrêter.

En France, c’est beaucoup plus valorisé pour une femme d’avoir des projets, d’être chef d’entreprise. Ce n’est pas incompatible d’être mère et chef d’entreprise, c’est une volonté qui existe. 

Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous manque quand vous êtes loin de la France ?

Le chaos. Ça n’existe pas, le fait d’improviser à New-York : les gens en terrasse, les gens debout dans la rue avec un gobelet dans la main. Et les fêtes où on s’incruste chez les gens. Quand tu fais une fête on te demande toujours jusqu’à qu’elle heure elle a lieu.

Ça me manque, tout est tellement prévu !

Pour la  Women March par exemple, tu peux être sûre que personne ne va sortir des règles. C’est cool car ça marche bien, les horaires sont les bons, donc ça roule, c’est bien huilé. Il n’y a juste pas d’imprévus !

Alors que nous les Français sommes complètement adaptables à l’imprévu. Ici, les gens ont 10 minutes de retard, c’est comme ça. On sait meubler et finalement notre chaos nous rend hyper souples.

Que voulais-tu faire quand tu étais une mini Frenchie ?

Je voulais me mettre dans la rue avec une table et vendre mes dessins.

Merci Pénélope pour ton temps et d’avoir eu l’idée de faire une BD de ces femmes que rien n’arrête.

Culottées, BD de Pénélope Bagieu, 19,50€