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Par Philippine Sander - Le 29 juillet 2016

“Paris je te quitte !” À 26 ans et dès qu’elle a été diplômée d’ostéopathie, Caroline Bouin a décidé d’exercer son nouveau métier dans des coins de France qu’elle ne connaissait pas en répondant à des offres de remplacement de congés maternité. Elle s’est réveillée un beau matin en Haute-Savoie pour soigner ses tout premiers patients dans une ville qu’elle ne connaissait pas. TCH-AO zone de confort, bonjour l’aventure !

Voici sa chronique !

Mes patients, et les gens de la Yaute en général, m’ont appris qu’ici, on ne peut pas se prendre pour un ouf. Parce qu’en fait, on voit tous les jours en direct live que la nature est bien plus forte que nous

“Je dis que je suis une ostéopathe volante. Ne vous méprenez pas : je ne fais ni valser ma table de pratique, ni ne me déplace au domicile de mes patients par voie aérienne. Ce que je fais est bien plus terre à terre : j’exerce mon métier dans différentes régions de France, en remplaçant des ostéopathes en congé. Pour le moment, je n’ai expérimenté que Saint-Denis (parfaitement desservie par notre ligne 13 adorée), Saint-Gervais-les-bains (dans la Yaute, comme ils disent), et Alès (dang le Gard). J’ai donc touché plein de gens différents, aux cultures variées, et ils m’ont touché en retour (dans un sens différent, merci).

Episode 1 : la Haute-Savoie

En bonne parisienne pure souche, j’avais fini par faire une overdose de la capitale, je voulais respirer, partir à l’aventure, avoir une vie saine et dépolluée. J’ai pensé à l’Amérique du sud, l’Afrique, le Canada, … puis je me suis rabattue sur la Haute-Savoie. Le hasard m’y a mené, et il a bien fait. En Haute-Savoie, une parisienne doit tout réapprendre…

Se déplacer : les pieds ne sont plus nécessaires, sauf pour appuyer sur l’embrayage. Tout se fait en voiture, aux risques et périls des non-initiés, option conduite en conditions extrêmes. L’auto-stop fonctionne très bien dans le coin, faute de transports en commun toute l’année. Je fais partie des rares parisiennes de mon âge à avoir leur permis depuis plusieurs années, et pourtant ma voiture a pris quelques coups dans les dents. Et dans les portières.

J’ai doublé mes mètres carrés en divisant par deux mon loyer, et troqué mes voisins dealers contre un jeune couple adorable.

Boire/sortir : J’ai eu la chance d’avoir des voisins très cools qui m’ont initié assez vite aux soirées dans la Yaute (comprendre « Haute-Savoie »). Fraichement diplômée, j’avais accumulé plusieurs années d’expérience en matière d’apéro (métro-boulot- …) étudiant avec tout ce qui s’ensuit. Mais ! Prévoir ABSOLUMENT de s’alimenter avec générosité avant de sortir. La tartiflette, c’est pas pour les chiens. Ne pas s’inquiéter s’il faut faire 20 km pour trouver un bar ou une boite ouverts. Du coup, un café ou un verre de vin sur un coup de tête, c’est mort : l’organisation est obligatoire.

S’habiller : Ici, la chaussure de rando est sexy, c’est le nouvel escarpin. La doudoune est de mise, et de toutes façons les filles élevées au ski et patinage depuis l’âge de 2 ans sont tellement des bombasses qu’elles ont tout le temps la classe. La moon boot, c’est pour les touristes (les monchus, quoi), les fringues décathlon aussi. Et la doudoune, on la choisit bien et on ne RIGOLE pas avec ça, sinon on meurt, en fait.

Se nourrir : En tant qu’ostéopathe un peu perchée, je pense qu’il est bon pour la santé de manger ce qui est produit dans notre environnement proche. J’ai donc rempli ma panse de tomme de Savoie, reblochon, pommes de terre, charcuterie, pates italiennes dingues (l’Italie est proche), farcement (spécialité méconnue, probablement par le fait que peu y survivent). . . Et j’ai perdu du poids. Parce qu’en fait, on marche, on randonne, on pagaie l’été, on skie l’hiver. Les produits du coin sont des merveilles, et même le lait est bon pour la santé parce que les vaches sont dans l’herbe, la vraie.

Se domicilier : ma boite à chaussures de 20m2 à Paris au loyer gigantesque s’est transformé en rez-de-jardin d’un cossu chalet, avec de l’herbe et des montagnes devant. J’ai doublé mes mètres carrés en divisant par deux mon loyer, et troqué mes voisins dealers contre un jeune couple adorable.

Se comporter : « Je vous présente notre voisine : elle est parisienne, mais on ne dirait pas une Parisienne parce qu’elle est sympa. » J’ai ri ! Il faut dire qu’ici, les Hauts-Savoyards se font envahir chaque année par des hordes de touristes assoiffés de remontées mécaniques et de forfaits-saison, qui parfois peuvent éventuellement peut-être avoir tendance à se croire chez eux. Alors bon, si tu dis que t’es Parisienne, il faut quand même un peu prouver que t’es pas une connasse. Et il ne faut vraiment pas être susceptible. Mes patients, et les gens de la Yaute en général, m’ont appris qu’ici, on ne peut pas se prendre pour un ouf. Parce qu’en fait, on voit tous les jours en direct live que la nature est bien plus forte que nous. Ici, on sait que la montagne peut être dangereuse autant que sublime, et on ne peut que respecter le rythme des saisons (on le fait, ou on se casse).

La popularité : les jeunes se divisent en deux castes. Les hockeyeurs et les skieurs. Les hockeyeurs sont un peu les stars, ils sortent avec les plus belles filles (les patineuses). Les skieurs sont plus discrets, ils deviennent profs ESF, ou font des vidéos de free-style. Ou alors ils vendent des fringues (de ski). Ceci est une caricature, mais pas complètement en fait.

Communiquer : Tout se sait, tout le monde sait qui tu es, pas d’anonymat possible !

Il y a dans les expressions des Haut-Savoyards encore beaucoup de patois.

Exemples : Une truille = un alcoolique.
Etre bouné : avoir trop mangé.
Un boutch : un mec de la Yaute profonde.
Le boyon = le ventre.
La bougnette = un beignet de pomme de terre/un sexe de femme (si si).
Une ringale = quelqu’un qui fait beaucoup la fête.
Du patchauk : un truc gluant, type gloubi boulga.
Vous noterez le champ lexical porté sur la picole et l’alimentaire. Edifiant.

Mes patients : Ici on vient facilement voir l’ostéopathe, parce qu’hier encore, on allait voir le rebouteux du coin pour se faire remettre les idées en place. Alors l’ostéo, c’est le rebouteux en plus officiel. Les patients du coin ne viennent pas pour de petits bobos. Ils tombent dans des crevasses, escaladent des pylones, font des marches avec 1500m de dénivelé… Alors je devais prévoir du temps pour leur longue liste d’antécédents médicaux, et j’avais souvent des surprises !

En saison, je voyais les monchus qui souffraient la plupart du temps de lombalgie aigüe (lumbago pour les intimes) après avoir traversé la France en voiture et fait la queue des heures pour louer des skis. Ils étaient censés se DETENDRE, ils n’avaient qu’une semaine pour se REPOSER, vite et bien. Alors moi, j’avais pour mission de sauver leurs vacances, vite et bien (surtout que pendant des vacances à la montagne, le temps c’est vraiment de l’argent).

Je devais à l’origine venir pour 4 mois, je suis restée 9 mois. Cette région est magnifique, elle flirte avec les extrêmes et ses habitants sont de petites boules d’amour, sous leur carapace d’armoire à glace au visage buriné. Il n’y a pas d’entre-deux (d’ailleurs les inter-saisons sont dures pour le moral). Je suis partie, la boule au ventre après ces neuf mois, la tête pleine de souvenirs géniaux et des amis pour la vie. Et je suis arrivée à Alès, d’où je vous écris. Prochain épisode dans quelques mois !

Merci Caroline !

DÉCOUVREZ ENCORE PLUS D’ACTU FRENCHY !